Chers lecteurs et chères lectrices,
En cette fin d’année bien occupée, je me pose beaucoup de questions, notamment à cause d’un gros bébé en gestation : mon Habilitation à Diriger des Recherches (ou HDR de son petit nom).
Si mon précédent Guide de Survie (un super cadeau pour Noël qui arrive !) était une première mouture de ma réflexion en mode « adolescente énervée », comme dirait mon garant Marcus, mon HDR est quant à elle la version de la grand-mère vénérable, qui a le recul nécessaire pour objectiver ses pratiques.
Certes, pourquoi pas la grand-mère. Cela dit, pas sûr qu’elle soit vénérable. J’ai très envie d’illustrer cette HDR avec des bonshommes bâtons, et par des petites histoires et blagues intello plus ou moins drôles. Nous verrons bien.
Ceci étant, cela me fait cogiter sur la manière dont j’envisage mon futur statut de directrice de thèse. D’ailleurs, c’est quoi une « bonne » directrice de thèse ? Qui plus est lorsqu’elle a un statut d’indépendante ?
Depuis le début de cette aventure, certains collègues me font comprendre que ce serait une question d’âge, et me disent : « tu es bien jeune pour passer ton HDR ».
Ça m’agace.
Comme si l’âge (et souvent une barbe), était synonyme de chercheur compétent ou de bon directeur de thèse. Ça se saurait depuis le temps.
Par ailleurs, cela fait bientôt 18 mois que j’y travaille, et à ce stade, je n’ai toujours pas détecté de formation « Comment être une bonne directrice de thèse ». J’estime que l’écriture de mon HDR ne me prépare en rien à l’exercice de l’encadrement, et plus particulièrement à la gestion des problèmes qui peuvent survenir pendant une thèse. Lorsque l’on fait une rapide recherche sur Google, le « Guide du parfait directeur de thèse » du collège doctoral de Bretagne qui sort en premier traite surtout de responsabilités administratives du directeur, mais pas tellement d’encadrement. Certaines discussions dans le subreddit r/PhD sont sans doute les plus intéressantes à lire sur le sujet. Et j’ai aussi posé la question à ChatGPT par curiosité, mais qui a synthétisé peu ou prou les discussions que j’avais lues en ligne en bullet points. Rien de bien folichon.
D’après Marcus, le « bon » directeur ou la « bonne » directrice de thèse n’existe pas. Il s’agit surtout d’établir une relation de confiance avec le doctorant ou la doctorante, et de s’assurer d’être en phase sur les attendus. Mais je trouve ça un peu léger. Et puis, cela ne dit rien sur quel type de directrice de thèse j’ai envie d’être.
En revanche, je sais quel type de directrice je n’ai PAS envie d’être :
- La directrice absente, qui ne répond pas à ses mails, et ne voit pas ses doctorants durant plusieurs mois d’affilé (bonjour à mon ancien directeur de thèse).
- La directrice de thèse qui, à l’inverse, est toujours sur le dos de ses doctorants, et ne leur laisse pas suffisamment d’autonomie ou d’indépendance (un comble pour une ECI comme moi).
- La directrice de thèse qui harcèle moralement ou sexuellement ses doctorants. Vous pouvez lire Adèle Combes sur le sujet. D’ailleurs il faut que je la lise aussi, depuis le temps qu’on me parle de son bouquin !
- La directrice de thèse qui ne prépare pas ses doctorants à leur carrière postdoctorale, ou aux enjeux économiques de la recherche. Car le doctorat, c’est galère. Mais après, ça l’est parfois encore plus.
Une fois que j’ai dit ça, so what ? Suffirait-il de se contenter de l’inverse de ces points pour définir une « bonne » directrice de thèse ? Cela n’est-il pas trop évident ?
En outre, cela ne dit rien de mon style d’encadrement en tant que future directrice de thèse, ou de l’impact de mon statut « d’indépendante » sur ma manière de la diriger.
Après réflexion, voici ce que je dirais sur ces deux derniers points.
D’après ma « street cred » à l’école d’architecture où j’enseigne, je sais que j’ai la réputation d’être dure et exigeante. Comme me l’a dit une de mes anciennes étudiantes : « Madame, on vous adore en tant que prof, mais on ne vous veut pas dans notre jury de diplôme ».
Humhum.
Certains de mes amis et collègues disent que je suis une « machine de guerre » : j’aime les challenges, être organisée, et travailler dur mais efficacement, au lieu de faire trainer les choses pendant des plombes. Vous ne me verrez donc pas répondre à mes mails des semaines plus tard (sauf cas de force majeure) ou prendre rendez-vous avec le doctorant ou la doctorante pour dans 6 mois.
Je ne suis pas non plus du genre à tourner autour du pot, quitte à être parfois un peu bourrin. Quand il faut dire les choses, je les dis, mais en essayant de garder en tête la technique du « shit sandwich » : deux tranches de commentaires positifs entourant une couche plus ou moins importante de critiques que j’espère à chaque fois constructives.
J’ai plutôt un tempérament de coach, et j’aime transmettre mon énergie et mon optimisme sur les projets de recherche que je porte. Je ne suis pas du genre à abandonner, à me laisser intimider ou abattre facilement (notamment par le reviewer 2 !). Une directrice de recherche m’avait dit une fois : « Claire, si tu n’as pas encore trouvé de solutions, c’est sans doute qu’il faut te laisser un peu plus de temps pour réfléchir ». Aussi, je ne pense pas que je laisserai mes doctorants dans la panade la plus totale au regard des obstacles qu’ils rencontreront inéluctablement sur la route.
Je suis respectueuse des temps de repos, et de la vie personnelle. Il n’y a rien de plus important que sa santé, et je ne demanderai jamais à mes doctorants de la sacrifier sur l’autel de la science. La recherche, c’est cool, mais il n’y a pas que ça dans la vie.
J’ai aussi un gros sabot (auvergnat) dans la sphère opérationnelle de par mon activité d’indépendante. Je suis donc plus à même d’orienter mes futurs doctorants en dehors de la sphère académique, plutôt que vers le CNRS. Même si je me sens aussi capable d’encadrer des doctorants qui ont pour ambition de faire le CNRS.
Enfin, je pense malgré tout être un électron libre et indépendant, qui peut pousser à sortir des cadres, à bricoler, et à improviser.
Aussi, si parmi vous, chers lecteurs et lectrices, il y a de futurs doctorants qui envisagent que je les encadre, vous êtes avertis !
À la question posée dans le titre : oui, je pense qu’il est possible d’être une bonne directrice de thèse indépendante. En tout cas je vais essayer de l’être.
On se retrouve donc dans 10 ans pour faire le point…