A l’image du couple passionnel, la recherche et l’entreprise, c’est un je t’aime moi non plus constant. L’incompréhension est parfois totale. Parfois, l’un ne peut survivre sans l’autre.

Au cours des 3 ans durant lesquels je me suis acharnée grâce à mon ancienne entreprise à faire le lien entre ces deux sphères que sont celles de la recherche académique et de l’entreprise en lien avec la ville, il m’est apparut évident qu’un long chemin restait à faire. Un chemin nécessaire à la meilleure compréhension de ce qui lie ces deux mondes pour contribuer à l’établissement d’une symbiose parfois essentielle au développement de notre société des urbains.

Il m’aura fallut une année entière pour comprendre les motivations des deux parties, au travers d’entretiens semi-directifs, d’enquêtes en ligne, de rencontres impromptues.  Cette année m’aura au final permis de lancer ma société Sciago, dont la courte vie m’aura appris une chose : faire ce lien entre ces deux mondes, est un travail titanesque. Un travail qui va à l’encontre de cultures, de cadres réglementaires, financiers, ou encore idéologiques bien implantés dans le cœur et l’esprit de personnes et d’institutions de pouvoir. Un travail qui m’aura fait perdre certaines illusions et comprendre qu’il est extrêmement difficile de concilier enseignement, recherche, et entreprise en fort développement.

Or, je ne suis pas superwoman, et quand bien même je souhaitais créer une véritable interface entre ces mondes, je n’ai pas eu les superpouvoirs nécessaires pour la gérer. D’autres essayent encore aujourd’hui. Je leur souhaite bien du courage.

Ceci étant dit, cela ne va pas m’empêcher d’écrire sur le sujet.

Aussi ce post a pour objectif de brosser un tableau de ce couple dont la relation reste encore à désirer. A défaut de devenir leur psy, j’ai pu au moins écouter leurs griefs et leurs espoirs au cours d’une année, que je retranscris ici.


Crédit: Scott Webb

Commençons par les chefs d’entreprises, dont les activités sont l’immobilier, l’aménagement ou la construction (vous l’avez compris, je me suis intéressée essentiellement à celles qui font la ville).  Il faut  d’abord réaliser  que tous les chefs d’entreprise n’ont pas la même vision de la recherche. J’en définissais trois types : le conjoint pessimiste, le potentiel évolutionniste, et  le convaincu attentionné.

Le conjoint pessimiste ne collabore jamais avec des chercheurs dans le cadre de ses activités  et estime qu’il n’en en a pas besoin. L’investissement financier dans la recherche se fait seulement au travers du mécénat, qui lui sert à valorise l’image de l’entreprise. Il se fait éventuellement au sein de startups susceptibles d’innover. Sa vision du chercheur, ce conjoint ennuyeux et ennuyant, est essentiellement négative. Ce dernier est trop pointu, intello, non adapté au pragmatisme de l’entreprise, et  il ne produit pas de solution claire aux besoins de cette dernière.

Le potentiel évolutionniste n’établit pas de collaboration de travail en relation avec la recherche, et n’en pressent pas le besoin immédiat. Cependant, comme tout bon partenaire conciliant et apte au compromis, il serait prêt à tenter l’aventure en fonction de la mise en place de modalités de collaboration différentes à développer. Il serait motivé pour avoir accès à des profils de chercheur plus pertinents avec leur métier, plus de budget pour la recherche,  ou des chercheurs plus flexibles en termes de tâches à effectuer pour l’entreprise. L’investissement financier s’effectue donc seulement sous la forme de mécénat, soit par ce que ces entreprises sont convaincues par le bien fondé de leur investissement, soit pour améliorer l’image de la société à des fins commerciales. Elles investissent également dans des startups pour innover. Leur vision de leur partenaire chercheur est un peu meilleure. Même si ce dernier reste inadapté à l’entreprise (il n’es pas assez pragmatique), il est créatif et fait preuve de grande qualités d’analyse (et on s’en réjouit).  

Enfin reste le convaincu attentionné. Celui-ci est déjà un partenaire régulier, et établit des collaborations de travail avec des chercheurs existants, essentiellement sous la forme de prestation de service. L’investissement financier se fait au travers de prestations de service, du mécénat, et fait partie de la culture d’entreprise. Ils ont une image de leur conjoint chercheur plutôt positive. Ceux-ci sont prospectifs et créatifs, même si il reste quelques points noirs. Ils sont peu adaptés au monde de l’entreprise, manquent d’organisation, et leurs compétences mériteraient d’être mieux mises en valeur. Mais que voulez vous ? Aucun couple n’est parfait.


Crédit: Jose Alejandro Cuffia

Du côté des chercheurs maintenant. Ceux-ci se font le miroir de l’entreprise, et de même, il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Le chercheur peut être un conjoint réfractaire, un attentionné paresseux, ou encore un moteur du couple.

Le chercheur réfractaire ne jure que par la recherche académique. Convaincu par le bien fondé de la recherche publique, du coté maléfique de certains financeurs privés, il ne vise qu’à rester dans sa bulle universitaire ou à être planqué au CNRS (je caricature, mais pas tellement). Il représente tout ce que l’entreprise déteste : un professeur Tournesol hors sol, qui fait preuve de manque de pragmatisme et qui ne souhaite pas collaborer avec elle. En revanche, il sera sans doute un théoricien hors pair, médaille d’or du CNRS, who knows ?

Le bien attentionné paresseux, lui, s’intéresse à l’entreprise. Il comprend bien que son avenir dans la recherche publique est compromis vu le nombre de postes de Maîtres de Conférences et de chercheurs CNRS insignifiant qui sortent chaque année. Il tentera les concours, mais bon, l’entreprise peut présenter une bonne alternative. En revanche, de là à aller vers elle et à s’adapter, un grand pas reste à franchir. L’inertie du chercheur peut être parfois incroyable. Edison disait : le génie, c’est 1% d’inspiration, et 99% de transpiration. Le bien attentionné paresseux en reste au 1%.

Enfin le moteur du couple, lui, est prêt à tout pour son conjoint. Il en apprend les codes, s’adapte à ses besoins de manière pragmatique. Il recherche constamment sa compagnie et contribue à l’investissement dans des projets innovants. Il a encore du mal à faire valoir sa valeur au sein du couple, mais établit de bonne relation avec ce partenaire qui le finance.

Cette catégorisation n’enlève en rien à la qualité des différents partenaires. Comme dans tout groupe, il y aura des bonnes entreprises avec des dirigeants conciliants, et des mauvaises entreprises. Comme il existe des chercheurs médiocres et intransigeants qui côtoient des chercheurs brillants et flexibles parfois tournés vers l’entreprise.


On l’aura compris : le couple le plus prometteur sera celui du chef d’entreprise convaincu et attentionné et du chercheur moteur. Quand à celui du pessimiste et du réfractaire, leur divorce est bien entendu consommé (mais il y a t-il eu seulement une relation possible ?)

Aussi, pour contribuer à une relation réussie entre les 2 parties, la communication est nécessaire. C’est ce à quoi je m’emploierai désormais, à créer un espace de discussion et d’écoute, une interface entre ces 2 mondes qui ont tout intérêt à se côtoyer.

C’est bon, j’ai eu mon 1% d’inspiration, il me reste à me lancer pour réaliser mes 99% de transpiration.

One thought on “ La recherche et l’entreprise : je t’aime – moi non plus, ou le besoin d’une interface ”

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