Gloria Steinem a célèbrement déclaré que les femmes dans ce bas monde avaient un choix à faire : soit être féministe, soit être masochiste.

Malheureusement, mon expérience de femme entrepreneure et chercheuse m’a appris que cette approche était sans doute un peu trop binaire, et qu’être féministe relevait parfois du masochisme.

Le fait d’avoir décidé de devenir d’abord ingénieure, puis entrepreneure, et donc de m’insérer dans des sphères professionnelles principalement masculines est-il le signe de mon engagement féministe ? A quelles difficultés ai-je dû faire face en prenant ces décisions ? Ce goût du challenge n’est-il qu’une preuve de plus de mon masochisme invétéré ?

C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire un article sur le sujet, en m’appuyant non seulement sur mon expérience, mais aussi sur celle d’autres femmes entrepreneurs de ma connaissance.

Il existe à mon sens trois niveaux de difficulté à surmonter lorsque l’on veut se lancer dans la recherche indépendante, et plus généralement dans une aventure entrepreneuriale, quand on est une femme. 

Le premier, c’est de savoir contrer l’attaque des clones à Macholand.

Le second est d’apprendre à surmonter le syndrome du pot de fleur tout en évitant les garçonnières.

Le troisième est de combattre la machogirl qui est en nous.

Aussi, chers lecteurs et chères lectrices : explorons donc un peu plus en détail ces trois défis.

  1. Contrer l’attaque des clones à Macholand

Je vais tout de même attaquer cette section de l’article en disant que, pendant longtemps, j’ai tout de même été relativement privilégiée. Certes, j’ai fait une école d’ingénieure, mais notre promotion était relativement équilibrée en termes de répartition étudiants/étudiantes. Je n’avais jamais entendu parler de micro-agressions, et je ne retrouvais pas chez mes camarades masculins cette suffisance si caractéristique de ceux que je caractériserai ici de clones troopers (oui j’aime bien les métaphores de Star Wars, vous l’aurez remarqué).

Un clone est en général un homme blanc se trouvant dans une position de pouvoir, sexiste au possible, et qui vous le fait comprendre si vous êtes une femme.

Le pire, c’est que le clone n’a parfois pas conscience qu’il en est un.

Il a fallu attendre mon deuxième stage pour rencontrer un individu de cette espèce, et comprendre que ce n’était pas anodin si je me retrouvais toujours à faire le café, la vaisselle et les travaux les moins intéressants, alors que mon collègue stagiaire masculin, moins avancé dans ses études que moi, n’avait pas ce problème. Au bout de la Nième fois où mon chef m’a demandé de faire la vaisselle, j’ai donc décidé de se faire entendre :

  • Moi : Mais bien sur Olivier, je vais faire la vaisselle comme je suis LA stagiaire de cette boite.
  • Olivier (qui n’a vraiment pas le don de capter de comprendre le sarcasme) : Mais Claire, je ne te demande pas de faire la vaisselle parce que tu es stagiaire, mais parce que tu es une femme.
  • Moi : Mais bien sur Olivier, nous les femmes nous sommes nées pour faire la vaisselle c’est bien connu, et pas pour avoir une vie professionnelle.
  • Olivier : Ouhh mais c’est qu’elle se laisse pas faire la petite Claire.
  • Moi : Mais Olivier, c’est bien mal me connaître si tu penses que je vais me laisser faire.
  • Olivier : …..
  • Moi : Bon vous m’excuserez, mais apparemment j’ai de la vaisselle à faire.

A ce jour, je regrette encore d’être partie faire la vaisselle.

Et ce ne sera que la première remarque d’une longue série, qui a eu tendance à grossir de manière non négligeable dès l’instant où j’ai commencé à faire du business et immatriculé ma première société. Il faut croire que le clone de base pense qu’il est approprié de vous envoyer des photos personnelles et de vous demander si vous êtes célibataire en plein rendez-vous professionnel devant ses associés. Face à ces avances, il est alors de bon ton de « rester gentille ». Et c’est notamment le cas lors de négociations, parce que c’est bien connu, toutes les femmes se doivent d’être douces, de sourire constamment en acquiesçant bêtement, et d’accepter les deals de merde. Et surtout, l’entrepreneure douce et docile ne doit jamais parler de faire appel à un avocat. Mais, vous l’aurez deviné, comme je ne réponds pas à cette description, le clone me balance qu’il « n’aimerait pas divorcer d’avec moi et d’avoir à faire avec mes avocats ».  

Mais, monsieur le clone, qui vous dit que j’aurais envie de me marier avec vous en premier lieu ?

Et encore, certains de mes amis m’ont dit : « au moins tu ne t’es pas fait harcelée ou agressée sur le lieu de travail ».

Certes, je n’ai pas fait l’objet de harcèlement ou d’agression sur le lieu de travail, mais est-ce vraiment ça le niveau de référence à prendre ? Mon unique expérience d’agression concerne une tentative de vol de mon sac à main à Bruxelles. Et même si mon agresseur s’est retrouvé avec mon poing dans la figure (car je ne voulais absolument pas lui laisser mon sac), l’évènement demeure traumatique. Aussi je n’ose imaginer ce qu’ont dû endurer les survivantes d’agressions sexuelles sur le lieu de travail ou ailleurs.

Mes pensées vont vers elles.

Mais au-delà de ces attaques facilement observables, d’autres sont de nature plus pernicieuse.

2. Surmonter le syndrome du pot de fleurs au pays des garçonnières

Lorsqu’on est une femme et qu’on devient entrepreneur, il existe des règles implicites que l’on apprend très rapidement.

A savoir toujours accepter un rendez-vous business (surtout les premiers) dans un lieu public, ou en tout cas avec des personnes à proximité au cas où, et durant les horaires de bureau. On fuira donc les rendez-vous en afterwork en one-on-one qui peuvent se transformer en dates intempestifs, et surtout les garçonnières, car il y en a plus que l’on ne croit (pour éviter les agressions susmentionnées).

On apprend également à encaisser le mansplaining à tout va. On apprend également à ravaler sa fierté, et à faire appel à un ami masculin à qui on donnera des réponses immédiatement, alors que vous avez beau envoyer 1000 mails pour les obtenir ces fichues réponses, ça ne marche pas. Ce qui a tendance à m’énerver, mais comme le dit mon ami Julien, c’est le pouvoir du mâle.

Et surtout, on se doit d’apprendre à combattre le syndrome du pot de fleur.

Vous savez, cet objet qui cherche à égayer une pièce parce qu’une fleur, c’est plutôt joli, et ça ne peut pas faire usage de la parole. Et le syndrome du pot de fleur s’avère particulièrement prévalent lors de rendez-vous où l’on est la seule représentante du genre féminin.

C’est incroyable de voir comment il est difficile parfois de s’imposer, et ne serait-ce que de réussir à en placer une, dans le monde de l’entreprise et même parfois dans la sphère académique. Et dès lors que l’on cherche à se rebeller et à s’imposer, on est taxé « d’être prétentieuse, individualiste, carriériste et d’avoir la grosse tête » comme le mentionne Mona Chollet.

Ou alors, autre alternative, on devient une « femme quota ». 

J’ai eu une discussion très intéressante à ce sujet avec Fanny, une de mes connaissances, docteure et cheffe d’entreprise, lors d’un café en distanciel il y a de ça quelques semaines. Celle-ci avait été invité à une conférence sur l’entrepreneuriat pour parler de l’entrepreneuriat féminin, notamment en province.

Et ça l’avait horripilé. L’aurait-on invité si elle avait été un homme, sur la base de ses seules compétences en tant qu’entrepreneur-docteur, et non en raison de son sexe ? Selon elle, il n’y a rien de pire que de se dire qu’on obtient quelque chose non pas parce qu’on est compétent, mais parce qu’on est une femme.

Je dois avouer, je suis partagée avec cette idée. Une partie de moi pense qu’il est indispensable d’avoir des femmes quota pour améliorer la représentation des femmes dans certains secteurs d’activité, et atteindre l’égalité homme-femme. Mais une autre partie de moi refuse d’être considérée comme une femme quota pour les mêmes raisons que Fanny a énoncées.  

Après tout, je suis entrepreneure. Et ensuite, il se trouve que je suis une femme.

Mais je suis toujours ravie de contribuer à l’augmentation des statistiques en faveur du genre féminin. Ça a notamment été le cas lorsque j’ai donné quelques noms de consœurs que j’estimais compétentes pour réaliser certaines missions. Car heureusement, certains hommes de mon entourage souhaitent faire appel à plus de femmes et sont l’antithèse du clone décrit plus haut.

C’est pourquoi il est important de se faire connaître. Personnellement je suis inscrite sur le réseau des Expertes depuis 2017 pour faire reconnaître mes travaux et aider les journalistes à améliorer la représentation des femmes dans les médias. Aussi, lectrices qui lisaient ces lignes, n’hésitez pas à vous inscrire sur le site, surtout si vous avez un doctorat !

Mais il n’est pas toujours facile de prendre son courage à deux mains pour parcourir Macholand tout en esquivant les garçonnières. Car il s’avère parfois que notre meilleure ennemie, s’avère être nous même.

3. Combattre la machogirl qui sommeille en nous

Il m’a fallu du temps pour comprendre que j’avais inconsciemment internalisé Macholand.

Cette réalisation a eu lieu (entre autres) lors du visionnage de cette fameuse vidéo de Lady Boss par Rachel Bloom que je trouve absolument hilarante :

J’ai envie de dire, une fois que vous avez vu cette vidéo, tout est dit. Entre l’impression de ne jamais être à la hauteur (alors que j’ai deux masters et un doctorat que diable), le désir de parfois taire mes qualifications pour ne pas faire peur à ces messieurs, ou encore le débat intérieur sur le choix de ma tenue pour aller voir un client, la machogirl qui est en moi a encore quelques beaux jours devant elle, même si je la combats ardemment.  

Je demeure également ambivalente, surtout lorsqu’il s’agit d’utiliser l’humour comme moyen de défense.

En guise d’exemple : un déjeuner chez un client. Je suis la seule femme de l’assemblée (comme souvent) et nous parlons des dernières élections municipales à Paris, durant lesquelles trois femmes, Anne Hidalgo, Rachida Dati et Agnès Buzyn se sont présentées. Nous parlons donc d’atteinte de l’égalité homme-femme, et là, je ne peux m’empêcher sur le ton de la boutade de placer cette citation de Françoise Giroud qui disait en 1983 : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Suite à ma prise de parole, un des associés me dit : « Tu sais Claire, si c’est nous autres qui avions dit ça, on aurait été taxé de sexiste ».

Et je dois dire, ça m’a fait réfléchir. Avais-je insinué inconsciemment qu’aucune de ces femmes était compétente ? « Is this internalized misoginy » comme le dit Rachel Bloom dans la vidéo ?

Faire constamment attention à notre propre tendance à s’auto-dénigrer et à dénigrer d’autres femmes est donc une lutte de tous les instants.

Mais répondre à ces défis inhérents à Macholand, est un combat qui en vaut la peine. Pour nous-même, et pour aider celles qui se lanceront sur le chemin de l’entrepreneuriat après nous.  Et même s’il faut parfois s’avérer un tant soit peu masochiste.


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