Le saviez-vous, chers lecteurs et chères lectrices, que lorsque l’on tape « chercheurs influenceurs » dans Google, on trouve bien plus de résultats sur les recherches scientifiques menées sur les influenceurs, que sur les chercheurs influenceurs eux-mêmes ?
Peut-on donc être chercheur et influenceur ? Et si oui, qui sont ces chercheurs, qui je dois le dire sont aussi difficile à trouver qu’un doctorant en SHS heureux, épanoui, et financé.
Cette question n’est pas anodine, car lorsque l’on est chercheur indépendant, avoir une présence importante sur différentes plateformes, notamment médiatiques et sur les réseaux sociaux, peut contribuer à se faire connaître et à établir une réputation favorable à son activité entrepreneuriale.
Mais comment définit-on tout d’abord un influenceur ? Et comment ce terme peut être appliqué au monde de la recherche ?
Le mot influenceur en lui-même fait son entrée dans le dictionnaire Larousse en 2017. Je retranscrits sa définition ici (et oui, c’est important de rappeler ces définitions pour la suite de la discussion) :
1. Personne qui, par sa position sociale, sa notoriété et/ou son exposition médiatique, a un grand pouvoir d’influence sur l’opinion publique, voire sur les décideurs.
2. Spécialement : Personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (mode, par exemple), est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social, etc.).
Ce que je retiens rapidement de ces deux définitions c’est que ces personnes influencent l’opinion publique, ou les pratiques de consommation. Or, quelle est la capacité réelle d’un chercheur d’influencer l’opinion publique ? Et quels sont les moyens qu’il mobilise plus particulièrement ? Dans le cas de la seconde définition, de quelles pratiques de consommation parle-t-on ? La consommation de savoir ? Comment celui-ci est alors monétisé ?
Par ailleurs, comment mesure-t-on cette influence ? En millions d’abonnés sur Twitter ou Youtube ? Les chercheurs doivent-ils devenir des « youtube drama queen » comme l’indique Marie Lopez (aka EnjoyPhoenix, l’une des plus grandes influenceuses françaises), et/ou faire des blagues potaches pour faire entendre leur voix ? Doivent-ils parler de leurs recherches tout faisant du placement de produits (bonjour les carnets de notes Clairefontaine, et ramettes de papiers Xerox pour imprimer les thèses et les articles) ?
Oui, je sais, je pose beaucoup de questions. Du coup, je me suis plongée dans les études sur les influenceurs.
Saviez-vous qu’il en existait plusieurs catégories en fonction de la taille de leur communauté de followers, tous réseaux sociaux inclus ?
Les nano-influenceurs ont entre 500 et 5 000 followers, les micro-influenceurs entre 5 000 et 30 000, les macro-influenceurs entre 30 000 et 700 000, et les célébrités, enfin, en ont plus de 700 000.
Existe-t-il des chercheurs célébrités ? L’un des premiers noms qui m’est venu à l’esprit en réfléchissant à cet article, c’est celui d’Aurélien Barrau, un astrophysicien français engagé dans le champ de l’écologie. Il a été interviewé par de nombreux journalistes (du Monde, de France Inter, de la Tribune…). Il est intervenu dans de nombreuses conférences. Les vidéos de ses interventions ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Il a même sa page Wikipédia, le comble du chic de nos jours !
Mais Aurélien Barrau n’a pas de compte personnel sur Twitter (ou alors je ne l’ai pas trouvé). Impossible donc de voir si le nombre de ses followers atteint les 700 000. Il a une chaîne Youtube cela dit (198k suscribers quand même) et un blog sur Futura Science. Mais tout ceci n’est pas assez pour atteindre une communauté de 700 000 personnes.
C’est sans doute pourquoi lorsque je me suis mise à utiliser certaines plateformes spécialisées dans l’identification d’influenceurs, son nom n’est pas apparu. Alors que d’autres qui étaient sur Twitter avaient clairement été identifiés.
Car oui, j’ai essayé tant bien que mal d’identifier qui sont ces chercheurs influenceurs. Et même si je n’ai pas mené tout un programme de recherche scientifique rigoureuse sur le sujet, je dois tout de même vous signaler que cet article m’a demandé bien plus d’efforts que d’ordinaire.
J’avoue ici aussi que je ne connaissais Enjoy Phoenix avant l’écriture de ce post (mais je ne m’en portais pas plus mal), et que je suis comme une poule devant un couteau lorsqu’il s’agit d’utiliser Twitter.
Bref.
Mais quels étaient mes critères pour les identifier me direz-vous ?
En premier lieu qu’ils aient un doctorat pour justifier d’une expérience de recherche solide. Ou en tout cas plus solide que tous les youtubeurs qui font des vidéos de vulgarisation scientifique, et qui se considèrent plus comme des vidéastes que comme des scientifiques chevronnés. Fait étonnant, sur la liste top 15 des influenceurs science et éducation établie par l’agence Influence4you spécialisé dans les études de marketing digital, un seul de ces influenceurs est actuellement titulaire d’un doctorat.
Avoir un doctorat ne garantie donc pas de savoir valoriser ses recherches auprès du grand public et d’avoir des compétences d’influenceur. Et les youtubeurs susmentionnés non docteurs font parfois (voir souvent) un bien meilleur travail que certains chercheurs de ma connaissance.
Mon second critère était que ces chercheurs influenceurs soient présents sur les réseaux sociaux, et aient un compte personnel. L’objectif est ici d’avoir un moyen de mesurer le nombre de leurs followers et d’abonnés, quand bien même j’admets que cette métrique peut être limitée. Je me suis concentrée principalement sur deux réseaux sociaux, à savoir Twitter qui semble être la plateforme privilégiée par les chercheurs, et Youtube lorsque ces derniers disposaient d’une chaine, en général de vulgarisation scientifique. Au-delà du nombre d’abonnés ou de followers, j’ai aussi examiné la présence de ces influenceurs dans des médias plus « traditionnels », que ce soient dans la presse écrite, à la radio, ou même à la télévision.
Enfin je me suis concentrée sur des chercheurs français ayant au moins 20 000 abonnés identifiés sur Twitter. Pourquoi pas 30 000 pour atteindre la classe des macro-influenceurs ? D’une part parce que le nombre de chercheurs français que j’ai identifié atteignant ce nombre est très faible, et que leur nombre d’abonnés ne dépasse que très rarement les 100 000 (on est donc loin de la limite des 700 000 de cette catégorie). Et d’autre part parce que j’ai essayé de proposer une liste d’influenceurs de différents champs disciplinaires, équilibrée en termes du nombre d’hommes et de femmes. J’ai donc considéré les plus influents des micro-influenceurs, et les quelques chercheurs demeurant de « humbles » macro-influenceurs.
Du point de vue de la méthode, j’ai surtout utilisé des sites d’identification d’influenceurs (Easyblogger et résultats d’agences de marketing digital), et des recherches personnelles sur Twitter et Linkedin.
Voilà donc mon identification, par ordre alphabétique. Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive. Perso, je les ai tous ajouté sur Twitter, libre à vous de faire de même.
Pierre Bordaberry, aka Psykocouac
Youtube : 139k suscribers
Pierre Bordaberry est docteur en psychologie et psychologue. Son moyen d’expression privilégié, c’est Youtube. Je suppose en regardant sa chaîne sobrement intitulée Psykocouac qu’il a un faible pour les pokémon, les play mobiles, et les dessins à la main faits à l’arrache. Un docteur influenceur avec une âme d’enfant, ça fait plaisir.
Twitter : 36,4k followers
Autres médias : France Inter, France Culture
Cynthia Fleury est docteure en philosophie, professeure et titulaire de la Chaire Humanités et Santé au CNAM. Il se trouve qu’elle est aussi psychanalyste, quand elle n’est pas en train de siéger dans de multiples organisations nationales et internationales. Comme pour Mathilde Larrère, son truc c’est plutôt de s’exprimer à la radio quand elle ne le fait pas sur Twitter.
Twitter : 51,5k followers
Autres médias : Le Monde, Libération, La Croix, Usbek&Rica, Public Sénat, France Culture…
Gaël Giraud est docteur en mathématiques appliquées à l’économie. Outre son passé d’économiste en chef de l’AFD, il est aussi prêtre (oui oui, il s’est fait ordonner en 2013) et a donc décider de faire un second doctorat en théologie. Réussir à mêler sciences et religion = respect. C’est pourquoi on l’interview pas mal dans la presse écrite, ou parfois à la radio et à la télévision.
Twitter : 23,4K followers
Autres médias : Le Point, les Échos
Aurélie Jean est docteure en sciences des matériaux et en mécanique numérique. C’est aussi une entrepreneure de choc, puisqu’elle est présidente d’In Silico Veritas, une société qui conseille les entreprises sur les données et l’intelligence artificielle. Ses dadas, ce sont les biais algorithmiques, et la lutte contre la sous-représentation des femmes dans les STEM. Et ça c’est cool.
Twitter : 101k followers
Autres médias : France Inter, France Culture
Mathilde Larrère est docteure en histoire et maîtresse de conférences à l’UPEM. Lorsqu’elle tweet, c’est surtout sur des sujets historique, militants, et féministes. Elle n’hésite pas à parler de ses recherches à la radio et à faire entendre sa (jolie) voie de militante de gauche.
Twitter : 53,6k followers
Youtube : 1,13M suscribers (enfin une célébrité !!)
Autres médias : Le Monde, France Culture
David Louapre est docteur en physique. Comme il le dit si bien lui-même, il gère sa chaîne Youtube « Science étonnante » la nuit, et met sa casquette de directeur scientifique à Ubisoft le jour. Comme pour d’autres influenceurs de cette liste, il fait de vulgarisation et de la vidéo des hobbies. Et il donne quelques interviews dans la presse et à la radio. A quelle heure du jour ou de la nuit ? ça il ne le dit pas.
Twitter : 22k followers
Autres médias : France Culture, France Inter, France info
Marwan Mohammed est docteur en sociologie, et il est spécialiste des bandes de jeunes, des normes et des déviances sociales, et de la délinquance. Il s’exprime notamment sur l’islamophobie, et ça, en contexte électoral, il semble que ça intéresse les journalistes.
Twitter : 204,9k followers
Autres médias : Le Monde, Libération, le Nouvel Obs, Le Point, France inter….
A-t-on encore besoin de mentionner que Thomas Piketti a un doctorat en sciences économiques ? En plus il a son propre blog sur le site du Monde, histoire de parler en long, en large et en travers des inégalités économiques. Et c’est stylé. J’aimerais bien avoir un blog sur le site du Monde moi aussi.
Twitter : 36 k followers
Autres médias : France Culture, France Inter, Europe 1, les Echos, le Nouvel Obs
Valérie Masson-Delmotte est docteure en physique des fluides et paléoclimatologue. Elle est surtout directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et co-présidente du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. C’est quand même plutôt badass.
Twitter : 88,9k followers
Autres médias : elle est ministre, donc on la voit partout
Notre chère Ministre de l’Enseignement Supérieure et de la Recherche est quant à elle docteure en sciences de la vie. Même si beaucoup de chercheurs adorent la détester, il est toujours utile de rappeler que c’est l’une des rares ministres de l’ESR à avoir un doctorat. Le dernier c’était Alain Devaquet en 86. Et puis, qui d’autre qu’une ministre peut se targuer d’influencer la recherche du pays ?
Twitter : 98,3k followers
Autres médias : il est député, donc on le voit partout aussi
Cédric Villani est docteur en mathématiques. Après avoir gagné la médaille Fields, il s’oriente vers la politique et devient député. Comme quoi, il est vrai que les math peuvent mener à tout, y compris à la politique. Il s’attèle également à la vulgarisation scientifique, histoire de réconcilier les français avec les math. Sa plus grande ambition sans doute.
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Ouf ! Voilà, j’ai fini ma petite liste, même si on pourrait la compléter j’en suis sure. Promis, cet article arrive à sa fin, merci d’être arrivé jusque-là !
Pour conclure, je tenais à informer qu’aucun de ces influenceurs n’avait fait de placement de produits Clairefontaine, ou démontré de compétences drama queenesque.
Ce qui ressort avant tout, c’est que leur présence sur les réseaux sociaux se complète par une présence accrue dans des médias plus traditionnels, et que la vulgarisation est centrale pour beaucoup d’entre eux. Quant à l’engagement politique de certains ou de certaines, il n’est plus à démontrer. Comme quoi être chercheur influenceur, c’est surtout mouiller sa chemise et sortir de son labo pour aller à la rencontre du public. Et ça, c’est un gros travail en soit.
Vous êtes chercheur, vous souhaitez développer votre activité d’indépendant et vous avez plein de questions ? N’hésitez pas à participer aux apéro-coaching.