Cela fait un petit moment que je nourris ce projet d’article. Et quoi de mieux que de conclure une année d’écriture en beauté en élucubrant sur ce sujet tout à fait sérieux ? Et oui, chers lecteurs et chères lectrices, ce post sera le dernier de 2021. Je dois dire que je suis assez fière d’avoir tenu mes bonnes résolutions du début d’année en vous offrant toutes les deux semaines un article écrit de mes blanches mains (comme quoi, ça arrive).
J’espère bien tenir le rythme en 2022 !
Mais revenons à nos moutons. Pourquoi parler de santé mentale en cette période de fêtes ?
Parce qu’il faut bien en parler à un moment ou à un autre, et que c’est toujours plus facile de le faire en mangeant des chocolats de calendrier de l’avent (cadeau de mon amie Violet en remerciement de mes explications administratives).
Je suis également tombée sur cet éditorial de la revue Nature qui avait lancé une grande enquête sur la santé mentale des chercheurs, et reçu une suggestion de doctorant : demander aux universités de mettre à disposition une salle de repos pour « pleurer » lorsque la pression exercée par les études supérieures devient trop forte. Bureau des pleurs, bonjour !
Une fois l’enquête menée, il est apparu que 29 % des 5 700 chercheurs interrogés dans le monde entier avaient indiqué que leur santé mentale était un sujet de préoccupation. Sur ces 29% un peu moins de la moitié d’entre eux avaient demandé de l’aide pour des problèmes d’anxiété ou de dépression.
C’était en 2017. Deux ans plus tard, c’est encore pire. Sur les 6 300 personnes interrogées, quelques 36 % ont demandé de l’aide pour des problèmes d’anxiété ou de dépression, notamment liés au doctorat. Et c’était avant la pandémie.
Je pense qu’il va falloir doubler la taille des salles-de-repos-bureau-des-pleurs.
Comment en est-on arrivé là ? La littérature scientifique sur le sujet est en expansion.
J’ai trouvé cet article sur la solitude du doctorant qui donne quelques pistes. Se retrouver seul devant sa thèse, gérer ses proches (qui ne comprennent souvent pas ce qui se passe en thèse), ses pairs, dont les directeurs/directrices de thèse qui font parfois autant preuve d’humanité qu’une huitre, sont des facteurs d’angoisse. Par ailleurs, lorsque la thèse n’est pas financée, que la précarisation devient un mode de vie, qu’on s’affole pour l’après car il n’y a pas de poste, ou qu’on ne trouve plus de sens à ce que l’on fait, alors il est tout à fait normal (ou pas) de péter un tant soit peu un câble.
Je compatis, je suis passée par là. Je me souviens encore de mes longues nuits à cogiter.
« Purée, comment je vais me débrouiller avec la partie 1 ? Qu’est-ce que je déteste la théorie. En plus qui va la lire cette thèse ? Cinq pèlerins et c’est tout. Comme si ça allait me donner un poste. J’ai envie de partir sur la plage à Ibiza pendant que mon clone bien attentionné rédige la partie 3 et mes annexes. Toujours pas de réponse de mon directeur de thèse à mes mails ? Non, toujours rien. Et puis comment je vais payer le loyer ce mois-ci ? J’ai envie de me faire des sushis tiens. Peut-être. Ça coute cher les sushis en vrai. En attendant, je peux toujours m’enfiler de la glace menthe chocolat de chez Picard. God save Picard ! »
Et ça, c’est avant l’obtention du doctorat. Mais j’ai l’impression que l’après doctorat est parfois pire (désolée pour les doctorants qui me lisent).
L’après, c’est candidater à un nombre bien trop élevé de postes, et se faire rejeter sans ménagement presque autant de fois.
Je dérivais l’autre jour mon schéma mental à un doctorant lorsque je candidatais à un poste.
Phase 1 : c’est le stress pour rédiger un dossier de candidature, mettre mon CV à jour, et écrire une proposition de recherche et pédagogique durant le peu de temps qu’il me reste entre l’enseignement, mes recherches perso, et mes clients. Et bien sûr, ça tourne non-stop dans ma tête :
« Non mais qu’est-ce qu’ils attendent en fait ? Un mouton à cinq pattes ? Elle est fléchée cette fiche de poste non ? Est-ce qu’ils ont un candidat local ? Est-ce que mon expérience sera suffisante ? Mais en fait, à quoi ça sert que je candidate alors que je sais que probabilistiquement je n’aurai pas ce poste ? »
Mais bon ce n’est pas grave, je candidate quand même, mon CV tourne comme ça. Et je procrastine en allant sur le groupe Facebook des Neurchi de doctorant·e·s désœuvré·e·s (SHS) – NdDoc pour me remonter le moral.
Phase 2 : l’attente. Une expérience de montagnes russes tout à fait psychologique, entre espoir invétéré et retour à la réalité quand on imagine le nombre de candidats en face, et un jury de recrutement qui a déjà sans doute ses chouchous.
« Nan mais Claire, tu as tes chances, tu as un CV de ouf quand même… tes collègues actuels t’apprécient, tu as des super notes pédagogiques de tes étudiants… Oui mais tu es trop hors des cases, et le jury te connait pas. Qu’est-ce qu’ils vont penser de toi ? Non mais en fait, je ne devrais pas me faire d’illusion et imaginer que je n’aurai pas le poste, comme ça je ne serai pas déçue si je ne l’ai pas. C’est insupportable cette attente non ? Bon quelle heure il est ? 2h du mat ? Il faudrait peut-être que je pense à m’endormir, j’ai cours demain matin ahlalala. Nan mais d’abord je vais me faire une petite glace menthe chocolat pour me remonter le moral »
Phase 3 : les résultats. Je n’ai pas le poste. L’histoire se répète. Rejetée, encore. Après ma grimpette vers le haut de la montagne en compagnie d’Espoir qui m’assistait bonnant malant, c’est la descente aux enfers escortée de Déconsidération et de Sentiment d’Injustice. Mon Ego meurtrit en prend un coup.
« Allez, tu vois bien, c’était totalement prévisible. J’ai envie de pleurer. En plus aucune explication de ce rejet, et moyen de m’améliorer. C’est tellement injuste, le candidat en face a moins publié que moi. D’ailleurs, certains membres du jury ont moins publié que moi ces cinq dernières années en fait. Mais qu’est-ce qui cloche chez moi ? Est-ce que je suis nulle ? Pourquoi je m’acharne ? Qu’est-ce qui s’est passé dans mon enfance pour que je sois autant maso ? Pourtant on m’a toujours dit que si tu es bon et si tu travaille dur, tu obtiendras ce que tu veux. La vie n’est vraiment pas juste en fait, ni clémente. J’ai besoin de quelque chose de plus fort qu’une glace menthe chocolat »
Voilà comment on termine chez le psy. Au départ, j’y suis allée à reculons, quelques mois après la fin de ma thèse, en pleine situation de burnout et autres problèmes de santé non négligeables. Puis j’y suis allée pendant 2 ans, et ça m’a pas mal aidé à prendre de la distance, à me débarrasser d’une grosse partie de ma colère et à lancer ce blog pour parler de ce sujet aujourd’hui.
Et ce n’est pas une honte d’aller chez le psy. On va bien chez le médecin généraliste quand on a une grippe carabinée, ou voir un chirurgien quand on se casse la jambe. D’ailleurs, on a aucun problème à dire à ses potes chercheurs : « ahlala je me suis cassée le poignet, comment je vais écrire mes articles avec ce plâtre ? ». Mais dire « ahlala je souffre de dépression, comment je vais écrire mes articles dans cet état d’esprit ? », ça ne se fait pas.
Pourtant, je connais de nombreux chercheurs (doctorants, post-docs et même titulaires !) qui vont chez le psy, voir qui ont même fait des séjours en hôpital psychiatrique. Quel secret de polichinelle pourtant !
Quelques petites statistiques sur les psy en France pour vous aider à relativiser : une étude yougov pour le journal Psychologie (début 2020, avant la pandémie donc) révèle qu’un Français sur trois a déjà fait appel à un thérapeute. C’est une nette augmentation vis-à-vis des chiffres de 2013 (28%) et de 2001 (5%). Or la pandémie a accentué d’autant plus la demande de suivi comme le révèle une enquête de Doctolib pour France Bleu.
Oui, je sais, tous ces chiffres ne sont pas issus de la recherche scientifique, mais ils donnent néanmoins une première image de ce qu’est la santé mentale en France.
Tout cela pour dire qu’il ne faut pas hésiter, et qu’il n’y a rien de honteux, à se faire aider.
Et puis vous savez quoi, c’est totalement normal de toucher le fond des fois. Nous ne sommes pas des robots à l’humeur égale. En ce qui me concerne, je fait toujours des crises de grognonitude aigüe les dimanches soirs. Et puis ces moments de mal-être nous font d’autant plus apprécier les bons moments qui ne manqueront pas d’arriver à un moment ou un autre.
Ibiza, here I come !
Pour ceux qui sont contre l’idée d’aller chez le psy (je comprends, je suis passée par cette phase), et bien il y a toujours d’autres moyens d’aller mieux et de se faire du bien. Quelques idées ci-dessous qui m’ont aidé personnellement. Oui, je sais, c’est assez basique comme conseils, mais c’est des fois important de les rappeler :
- Allez trouver des groupes de soutiens en ligne. Les deux groupes Facebook de « neurchi doctorant·e·s désœuvré·e·s (SHS) » et « neurchi de questions de doctorant·e·s désœuvré·e·s » sont souvent de bonnes ressources. Mais il en existe d’autres, qui sont souvent spécialisées par discipline.
- Ne vous enfermez pas dans vos travaux de recherche, et faite une autre activité détente en parallèle pour vous déconnecter le cerveau. Que ce soit de la chorale, du yoga, du running, du cirque, de la poterie, du saut en parachute, il y existe plein d’options pour prendre du temps pour soi. En plus ça fait rencontrer d’autres gens qui ne sont pas enfermés dans le microcosme de la recherche. Et ça fait du bien.
- Dans le même ordre d’idée, j’ai toujours essayé de développer un projet annexe qui permet de (re)valoriser mon égo meurtri en parallèle de mon activité d’enseignante-chercheuse. C’est notamment le cas de ce blog. Écrire ces posts est une expérience libératrice, qui me permet de réaliser à quel point j’ai avancé dans ma vie, tout en aidant une communauté de personnes grâce à mes compétences durement acquises. En soi, c’est une petite thérapie d’écrire ces lignes. Bref, tout ça pour dire : développez si vous le pouvez un (petit) projet à votre mesure, sans stress, et sur le long terme, qui vous valorise et qui vous fait du bien.
- Enfin, prévoyez dans votre emploi du temps des moments « c’est la vie quoi » comme dirait un de mes amis. Voyez vos amis et parlez d’autre chose que vos travaux de recherche. Mangez bien et mangez bon (et oui, ce n’est pas la même chose). Buvez beaucoup d’eau. Le café c’est important, mais trop de café tue votre précieux cerveau (et vous en avez besoin). Partez en weekend de temps en temps, ou pourquoi pas une journée en semaine pour aller voir la mer (je conseille Trouville en bord de mer, en mode école buissonnière). Demandez un nouveau matelas pour Noël et essayez de dormir (super important !). Faites l’amour si vous le pouvez (les endorphines, c’est la vie).
Je sais que ça a l’air dur de mettre en place tout cela quand on a peu de temps et peu de moyens, mais ce que j’ai découvert en thérapie, c’est que c’est souvent une histoire de choix. Moi qui disais toujours : « je n’ai pas le choix, il faut que je fasse X, et Y et Z d’ici demain », aujourd’hui je dis « ok pour X, Y attendra, et je laisse tomber Z. Je me barre à la chorale voir ma pote qui travaille chez Meetic ».
Choisir c’est renoncer. Mais qu’est ce qui est le plus important ? Investir dans sa santé mentale, ou bien répondre sans cesse aux sollicitations et obligations parfois toxiques de la recherche qui, au final, ne vous apportent pas forcément de poste ou de rémunération complémentaire ?
En ce qui me concerne, j’ai fait mon choix. Et aujourd’hui, c’est de manger les chocolats de mon calendrier de l’avent. Merci Violet.
Bonnes fêtes de fin d’année à tous et prenez soin de vous !