Chers lecteurs et chères lectrices,
Je suis sûre que vous vous êtes déjà retrouvés dans cette situation où, juste avant la sonnerie annonçant la fin des cours, un autre étudiant a la mauvaise idée de poser LA question qui va relancer votre professeur sur un point épineux pendant plusieurs minutes. A moins que ce ne soit vous le professeur, et que vous hésitiez à vous lancer dans un discours hasardeux, car vous avez hâte d’aller prendre un café.
C’est ce qui m’est arrivée en toute fin de séance de coaching lorsque la chercheuse en face de moi a abordé question de la propriété intellectuelle. Ceci étant dit, la discussion était intéressante et motivante pour les deux parties en présence, le café a donc dû attendre.
Ahhhh la PI comme on le dit dans le jargon de la R&D c’est un point épineux indeed. Saviez-vous qu’il existe des avocats entièrement dédiés à ce sujet somme toute éminemment juridique ?
C’est pourquoi je ne vais pas vous ensevelir sous des notions de droit, mais je pense qu’il est important de connaître quelque points clés pour être un minima armé devant les commanditaires de votre recherche indépendante.
1) En premier lieu, qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?
Il faut savoir que la PI regroupe deux grands types de propriétés :
- la propriété industrielle qui protège et valorise plus particulièrement des inventions, des innovations et des créations.
- la propriété littéraire et artistique qui protège, souvent au titre du droit d’auteur, des œuvres littéraires et artistiques comme son nom l’indique.
Explorons un peu dans le détail ces deux types de PI.
La propriété industrielle est souvent associée à la protection de créations techniques, notamment grâce au dépôt de brevets, mais pas seulement. Vous pouvez également protéger des certificats d’obtention végétale, ou encore des topographies de semi-conducteurs.
Mais la propriété industrielle ne s’arrête pas aux créations techniques, mais aussi aux créations ornementales telles que les dessins et modèles associées à une production industrielle. Enfin, vous pouvez également protéger ce que l’on appelle un signe distinctif, tel qu’une marque, une dénomination sociale, un nom commercial ou de domaine, les appellations d’origine (et oui !) ou encore une indication de provenance.
C’est pour cela qu’il existe un Comité Champagne qui lutte pour avoir l’usage exclusif de l’appellation d’origine « Champagne » partout dans le monde. Mais ce n’est pas chose facile. Surtout en Russie apparemment.
Bref.
Passons à la propriété littéraire et artistique. Comme je l’ai déjà dit, elle est souvent associée aux droits d’auteurs, d’œuvres littéraires, musicales, graphiques etc… Mais aussi aux logiciels informatiques. Mais la propriété littéraire et artistique ne s’arrête pas, là encore, aux droits d’auteurs. Il faut aussi inclure les droits voisins. Ce sont des droits accordés aux personnes qui ne sont pas considérées comme étant auteur principal d’une œuvre, mais qui se sont impliquées dans la création de cette dernière. Ces droits voisins sont ainsi accordés aux artistes-interprète, aux producteurs de vidéogrammes et de phonogrammes, et aux entreprises de communication audio-visuelle.
Bon, mais pourquoi faire une telle différence entre propriété industrielle et littéraire et artistique me direz-vous ? Après tout, il s’agit de protéger une production intellectuelle non ?
Et bien la différence essentielle réside dans les démarches que vous devez accomplir pour protéger ces propriétés intellectuelles.
Dans le cas de la propriété industrielle, vous devez vous engager dans une démarche de dépôt, en France auprès de l’INPI. On dépose ainsi son brevet, son modèle, ou sa marque grâce à une démarche administrative plus ou moins longue et plus ou moins coûteuse (merci les avocats !) qui permet de protéger le fruit de son travail pour un espace géographique et une durée donnée. A titre d’exemple, la durée maximale d’un brevet européen est de 20 ans.
Dans le cas de la propriété littéraire et artistique, le droit d’auteur s’acquiert sans démarche administrative, du fait même de la création de l’œuvre. En gros, vous n’avez rien à faire, sauf si vous vous faites voler vos travaux. Dans ce cas, il est temps de sortir votre avocat de votre manche.
Dernier point, pour ceux qui se demandent : et le copyright alors ?
Le copyright, mes amis, ça fonctionne surtout dans les pays de common law, comme aux États-Unis par exemple. Si le copyright peut être associé dans une certaine mesure au droit d’auteur, car c’est également un corpus de lois (re-bonjour les avocats, décidément), celui-ci relève plus d’une logique économique. Tandis que le droit d’auteur quant à lui relève plus d’un droit moral entre l’auteur et son œuvre.
2) Comment gérer la PI avec ses clients ?
A ce stade de l’article, vous vous demandez sans doute comment la PI se traduit dans le cas des travaux de chercheurs indépendants.
Et bien, il faut prendre en compte à mon sens deux facteurs :
- votre travail rentrent-ils dans le cadre de la propriété industrielle ou littéraire et artistique ?
- votre client souhaite-t-il conserver la propriété intellectuelle des travaux qu’il a commandité ?
Répondre à la première question est maintenant chose facile pour vous qui avez lu la première partie de l’article.
En revanche, répondre à la seconde est sans doute un peu plus ardue, car il faut souvent prendre en compte une grande variété de contextes.
C’est pour cela qu’il existe des avocats spécialistes vous dis-je ! On a toujours besoin d’un bon avocat…
De ma propre expérience, si votre client souhaite conserver des droits de PI sur la base de vos travaux, les négociations viennent extrêmement en amont du projet, lors de la rédaction d’un contrat en bonne et due forme. Je vous conseille tout de même de garder la main sur ce contrat, et de faire appel à vos propres avocats pour être force de proposition auprès de l’entreprise, et montrer que vous n’êtes pas né de la dernière pluie.
Ces négociations ont particulièrement lieu dans le cas des droits de propriété industrielle. Après tout, cela se comprend. Votre client investit financièrement dans vos travaux, qui déboucheront peut-être sur un brevet. Il est donc normal que votre client puisse bénéficier de ce dépôt de brevet pour avoir son retour sur investissement. Après, à vous de voir jusqu’à quel point vous (et vos avocats) êtes prêt à négocier.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas juste d’envoyer un devis et basta, surtout si de grosses sommes sont en jeu !
Cependant, dans le cas où votre client n’énonce pas de volonté de négociation des droits de PI, profitez-en.
En ce qui me concerne, dans le cadre de courtes missions avec peu d’enjeux économiques pour l’entreprise, je me permets d’envoyer uniquement un devis. Par souci de transparence et d’honnêteté, je préviens néanmoins mes clients que je suis susceptible de mobiliser les travaux menés en tant qu’exemples ou études de cas dans des articles scientifiques, dont la réalisation ne leur est pas facturée. Surtout que je ne percevrai aucun avantage financier à publier ce genre d’article (hum, hum, merci le racket de certains éditeurs de journaux scientifiques)
Dans ce cas-là, vous l’aurez compris, vous conservez tous vos droits d’auteur.
Il se peut que votre client souhaite avoir un droit de regard sur vos articles, et c’est humain. De mon expérience, tout client est inquiet de savoir quelles informations vont être divulguées sur son entreprise. Je lui indique dans ce cas :
- que je peux anonymiser les résultats obtenus dans la mesure du possible ;
- que même s’il souhaitait modifier des éléments du texte, cela n’est malheureusement pas possible du fait de l’évaluation en double aveugle des revues scientifiques. Et là c’est souvent le choc du client peu averti du fonctionnement du mode de publication scientifique hum ;
- que je peux cependant réaliser en parallèle un document de communication qui reprend de manière synthétique et opérationnelle les résultats de l’article selon des éléments de langage qui lui conviennent, mais qui doivent me permettre de maintenir mon intégrité scientifique.
Ce n’est pas toujours facile, mais c’est le jeu ma pauvre Lucette (pour ceux qui se souviennent de la pub).
Parfois, votre client ne souhaite pas que vous publiiez quoique ce soit. Dans ce cas, il faut l’accepter. Mon avis est qu’il vaut parfois mieux s’abstenir de publier, que de publier des résultats allant à l’encontre de son intégrité scientifique et de ses intérêts commerciaux.
Et oui, j’insiste qu’intégrité scientifique et intérêts commerciaux peuvent coexister lorsque cela est réfléchi de manière intelligente.
Et ce, dans notre intérêt à conserver nos droits sur la propriété intellectuelle de nos travaux.
Vous êtes chercheur, vous souhaitez développer votre activité d’indépendant et vous avez plein de questions ? N’hésitez pas à me contacter pour des séances de coaching.