Chers lecteurs et chères lectrices,

Nous sommes en 2023. En cette nouvelle année, il serait bon que je me remette à écrire des articles après un long silence de presqu’une année.

Ce qui me remets le pied à l’étrier, c’est le mail d’un d’entre vous qui se reconnaîtra. Car oui, je reçois parfois des mails de fan pour me remercier, me demander si on peut prendre un café, me donner du grain à penser, voir même pointer certaines faiblesses de ma prose. Aussi merci pour vos retours sur mon blog, je suis toujours preneuse de feedback, et cela me motive pour continuer d’écrire (la preuve). Ces mails me permettent aussi de me rendre compte au fur et à mesure des années qu’il existe une petite communauté de chercheurs indépendants en construction, communauté qui manque cependant encore de visibilité. Aussi, vous aimeriez lire un post au sujet d’un point épineux de la recherche indépendante que je n’ai pas encore traité ? Shoot me an email !

Le 5 janvier donc, je reçois un mail de Fan*** qui souhaite alors attirer mon attention sur le fait que le titre de doctorat ne garantit plus vraiment les compétences scientifiques du chercheur, qui s’évaluent à l’aube de ses publications scientifiques en double aveugle. Tout cela pour éviter certaines complaisances de professeurs d’université, qui, par ailleurs, ont parfois tendance à remettre le titre de docteur un peu trop facilement à des « chercheurs » douteux….  Aussi, peut-on dire que chercheur et docteur sont synonyme ?

Ce que je retiens surtout de cette remarque, c’est de savoir comment évaluer la qualité d’un docteur/chercheur, surtout quand celui-ci est un EC indépendant.

Si je ne suis pas insensible aux commentaires précédents, j’y apporterais sans doute de la nuance.

Docteur et chercheur ne sont bien entendu pas synonyme.

Certains chercheurs sont docteurs, voir MCF ou PU, mais j’estime en effet qu’ils ne sont pas de « qualité ». Ils publient (très) peu, ont eu un poste par copinage et ne sont pas des « bulldozers », terme outrancier établi par mon acolyte Julien pour qualifier au contraire les chercheurs de qualité situés en haut du panier (de crabes). Mais après tout, les différences de qualité entre professionnels n’existent-elles pas dans de nombreuses professions ? Il existe bien des médecins, des avocats, des plombiers meilleurs que d’autres. Je pense qu’il en est de même dans l’enseignement supérieur. Il existe bien entendu des docteurs/titulaires excellents (#teambulldozer), comme d’autres beaucoup plus médiocres. Je pense malgré tout que le fait d’avoir un doctorat est quand même une preuve de formation à la recherche, et que ce diplôme a le potentiel de rassurer un tant soit peu les entreprises. Même si nous sommes d’accord que le seul fait d’avoir un diplôme ne suffit pas à établir la qualité d’un chercheur.

A l’inverse, certains chercheurs ne sont pas docteurs, et produisent pourtant des travaux de qualité. Ils publient, viennent en appui à des enseignants-chercheurs titulaires qui n’ont pas les compétences nécessaires pour finaliser une expérimentation ou un article. Je préfère 1000 fois travailler avec ce genre de personnes qu’avec des titulaires qui capitalisent sur le travail des autres et n’apportent que le strict minimum pour apposer leur nom sur une publi. Car oui, ces derniers « publient », mais peut-on pour autant établir au regard de leur faible contribution qu’ils sont de qualité ?

Et puis, comme je l’ai dit dans un précédent article, tout le monde n’est pas Bourdieu ou Marie Curie, et n’a pas la vocation de l’être. Après tout, se concentrer seulement sur la production d’articles, c’est aussi mettre de côté tout l’aspect de l’enseignement qui est également d’importance.

Mais qu’en est-il des chercheurs indépendants ?

Certains ECI ne publient guère. Tout simplement parce que la publication d’articles scientifiques n’est pas souvent rémunérée par les entreprises, qui attendent avant tout un rapport ou un produit de R&D. Qui plus est, ces produits de la recherche ne sont pas examinés en double aveugle par les pairs. Mais difficile de dire à une entreprise :

« Au fait, il va falloir attendre au moins 1 an avant la publication des résultats pour satisfaire les désidératas d’un reviewer hargneux au troisième tour de révision ».

D’autres ECI publient beaucoup, mais en parallèle de leur activité rémunératrice, par choix personnel. Je suppose que cela dépend malgré tout de la somme de travail en cours, mais aussi des difficultés inhérentes aux champs disciplinaires.

Comment définir la qualité de l’ECI dans ce cas ? Car là est la vraie question.

La publication d’articles scientifiques évalués par les pairs est un signe c’est certain. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille s’arrêter à ce seul indicateur.  Le fait d’avoir mené à bien plusieurs projets de recherche avec de nombreux clients (publics ou privés), d’avoir une bonne réputation auprès de ces professionnels satisfaits sont également des paramètres à prendre en compte. Car on peut produire autre chose que des articles scientifiques en double aveugle : procédé ou produit industriel, innovation sociale ou juridique issus de la recherche. J’estime également que la production d’ouvrages, ou la participation à des colloques sont également importantes pour faire reconnaître ses compétences auprès de la communauté scientifique.

Mais ces critères sont encore en construction, comme le concept même d’ECI. Nous verrons donc si, dans un jour pas si lointain, un futur Pierre Bourdieu ou une future Marie Curie se réclameront de la recherche indépendante.