Il y a quelques semaines, un de mes amis chercheurs en fin de thèse me passe un coup de téléphone. Il sortait d’un entretien d’embauche pour faire de la recherche en agence d’architecture.  Problème : les responsables de l’agence lui demandent de proposer le montant de la rémunération qu’il souhaiterait obtenir. Mon ami hésite par ailleurs sur le montant à demander, sachant qu’il voudrait garder un 4/5ème pour pouvoir continuer d’enseigner en École d’Architecture.

Je lui demande quel montant il envisage, et c’est sans surprise qu’il m’indique une rémunération très en dessous de ce à quoi il pourrait prétendre.

Ce qui m’a donné l’idée, vous ne serez pas surpris chers lecteurs et lectrices, d’écrire un article concernant l’art de négocier une rémunération, que ce soit pour un salaire, ou pour établir le montant d’une prestation.

Mais avant toute chose, il faut se demander si la négociation est possible. Il est évident qu’il est difficile, voire impossible de négocier son salaire dans la fonction publique, les grilles salariales étant déjà gravées dans la pierre (de type granitique, la pierre). Mais vous aurez, chers lecteurs et lectrices, plus de latitude dans le secteur privé. Faite attention néanmoins aux différences de inhérentes à différents secteurs d’activités, la culture de la négociation n’étant pas développée de la même manière partout.

Cependant, rien ne vous empêche d’en apprendre un peu plus sur la négociation. Il y a en ligne tout un tas de sites web qui vous apprendront à négocier tout type de rémunération. Depuis la méthode du FBI (et la Master Class de Chris Voss) jusqu’au système Harvard, tout en passant par les différentes méthodes de « gourou » en négociation du web, en 4, 5, 8 ou 20 étapes, vous avez le choix ! Toutefois, il y a quelques subtilités complémentaires à savoir lorsque l’on est chercheur, subtilités qui ne sont pas nécessairement explicités par ces sites web.

Dépasser ses angoisses

La première chose à faire, c’est de se dire qu’il faut être prêt à négocier. Beaucoup de mes amis chercheurs (et non chercheurs d’ailleurs) se sous-estiment, n’osent tout simplement pas demander des rémunérations plus importantes, ou ont tout simplement peur de négocier.

Et je comprends. Moi aussi je suis toujours une grande angoissée lors de négociations. J’ai toujours un peu peur de « trop pousser la mule », et de ne pas obtenir quoi que ce soit au final. 

Ma première négociation ever a eu lieu sur un marché en Tunisie pour acheter une écharpe qui m’avait tapé dans l’œil. Ma mère, une auvergnate pur jus, excellente négociatrice du marché du dimanche, m’avait dit : « elle est trop chère, mais essaye de la négocier ».

J’essaye alors, toute balbutiante du haut de mes 13 ans, de batailler avec ce marchand tout sourire qui comprend que c’est ma première négo. Je me sens toute gênée, je ne sais pas quoi faire, et tout ça sous le regard de ma mère qui m’encourage du coin de l’œil.

Résultat : je l’ai eu à un peu moins chère que le prix de départ. J’étais plutôt contente de moi, mais j’entends ma mère soupirer « c’est pas mal, mais tu aurais pu l’avoir encore pour moins. La prochaine fois tu seras mieux préparée ».

Cette aventure m’a donc appris deux choses essentielles, à savoir : il faut savoir dépasser sa gêne, et bien se préparer pour gérer sereinement sa négociation. Personnellement, avoir un plan m’a toujours aidé à mieux gérer mes angoisses.

Alors comment se préparer me direz-vous ? Chacun a sa méthode, mais voilà celle que j’utilise pour moi, et que j’ai conseillée à mon ami chercheur cité un peu plus haut.

Se préparer

Je commence toujours par faire un minimum de recherches sur les rémunérations, prestations ou salaires, pratiquées sur le marché. Après tout, je suis chercheuse, et j’adore farfouiller un minimum pour obtenir des informations qui pourraient me faciliter la vie plus tard. Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur comment effectuer ces recherches, je vous conseille de (re)lire mon post sur l’étude de marché.

Mais en quelques mots : essayez de voir les prix pratiqués par vos futurs employeurs ou clients en fonction de considérations socio-économiques et géographiques. Est-ce que vos interlocuteurs font partis d’une grosse entreprise en région parisienne ? Ou d’une petite structure associative en province ? Est-ce que ces structures font déjà de la recherche, et ont-elles déjà embauché des chercheurs ? Font-elles appel à des dispositifs tels que le Crédit d’Impôt Recherche ?

Répondre à ces questions vous permettra d’établir le montant de rémunération que vous souhaitez idéalement obtenir. A partir de ce montant idéal intermédiaire, il s’agit ensuite d’établir des bornes. Quel est la rémunération minimum que vous êtes prêts à accepter ? Et celle maximum que vous n’oseriez pas demander de prime abord ? Le tout est de ne pas fixer des bornes trop hautes ou trop basses.

Faites également quelques petits calculs par rapport aux différents avantages fiscaux que pourrait toucher l’entreprise. Vous pouvez vous aider de mon précédent article sur le sujet.

Vous venez tout juste d’obtenir votre doctorat ? Faite valoir le fait que l’entreprise peut toucher l’aide à l’embauche jeune docteur dans le cadre du CIR, et calculez le montant de cette aide.  Et si vous n’êtes plus un « jeune docteur », faite tout de même quelques modélisations relatives au CIR. Vous êtes indépendants ? Essayez d’obtenir un agrément au titre du CIR pour avoir un argument commercial complémentaire et justifier les montants de prestations demandés.

Si vous ne pouvez pas faire valoir des avantages fiscaux, essayer d’estimer ce que vous pouvez rapporter à l’entreprise en termes de compétences et de retour sur investissement.

Le jour J

Lors de l’entretien, j’essaye toujours de savoir quelles sont les motivations de la personne en face de moi pour mieux comprendre les enjeux de la négociation en cours.

Cette étape est également très importante, car elle permet de comprendre qu’une négociation n’est pas une confrontation, mais un moyen d’arriver à une situation de gagnant-gagnant. Une amie avocate m’avait raconté la petite histoire suivante pour me faire comprendre ce principe.

Deux enfants se disputent une orange. L’usage voudrait que leur mère coupe l’orange en deux pour en donner une moitié à chacun de ses enfants. Cependant, cette approche n’est pas la plus optimale en termes de négociation. Ce que la mère aurait dû faire, c’est de demander à chacun de ses enfants pourquoi ils veulent l’orange. Le premier la voulait pour en récolter le zest afin de faire un gâteau. Le second pour se faire un jus d’orange. En écoutant un peu mieux ses enfants, la mère aurait pu satisfaire pleinement chacun de leur besoin.

C’est avec cette histoire en tête que j’établis mes stratégies de négociation. Quel est le besoin exact de la personne en face de moi, et comment je peux la satisfaire en atteignant par ailleurs mes objectifs financiers ?

Montrer que l’on comprend ce besoin en entretien en faisant preuve d’un minimum d’empathie peut se révéler gagnant. Surtout lorsqu’il s’agit du domaine de la recherche, dont les résultats opérationnels sont souvent incertains. Rassurer le futur employeur ou client sur sa capacité à faire de la recherche en tenant ses délais, de manière pragmatique et en respectant un budget est en général un bon départ lors d’une négociation. Surtout si vous pouvez valoriser des avantages fiscaux par la suite.

Au moment de parler montant, deux approches.

Soit votre interlocuteur propose un montant en premier : dans ce cas prenez le temps de réfléchir. Est-ce que ce montant est inférieur à votre limite basse ? Dans ce cas, proposez un montant supérieur à cette limite quitte à le renégocier par la suite. Si votre interlocuteur propose un montant équivalent à votre limite haute, que cela ne vous empêche pas de négocier pour obtenir sans doute un peu plus, sans pour autant « abuser ». Faites valoir vos compétences et les avantages à votre embauche que j’ai cité plus haut.

Autre approche : votre interlocuteur demande combien vous voulez. Dans ce cas, donnez votre limite haute, et négociez à partir de là. Vous pouvez parfois avoir de bonnes surprises et obtenir sans négocier le montant que vous souhaitiez en limite haute.

En pleine négociation, vous pouvez utiliser la méthode Ackerman, que j’ai apprise sans le savoir avec ma mère sur les marchés du dimanche. Diminuez (ou augmentez) progressivement les montants demandés en réduisant de plus en plus les écarts de prix pour donner à votre interlocuteur l’impression que vous faites de plus en plus d’efforts. Par exemple demandez votre limite haute, 30% supérieur au montant que vous pensez finalement obtenir, puis diminuer de 15%, puis de 7%, puis de 5%, pour atteindre ainsi votre montant intermédiaire. La méthode Ackerman établit en fait des pourcentages plus précis que vous trouverez ici.

En revanche, il ne faut jamais descendre en dessous de votre limite basse fixée initialement. D’une part parce que cela indique que votre interlocuteur vous traite au rabais et ne valorise pas vos compétences à leur juste valeur (surtout si vous savez les montants pratiqués sur le marché grâce à vos recherches en amont). D’autre part parce que vous pouvez trouver d’autres opportunités plus en accord avec vos prétentions de rémunération.

Si vous voulez néanmoins absolument ce job pour lequel la rémunération n’atteint pas vos exigences, peut-être pouvez-vous appliquer le conseil de mon ami Georges, capitaliste. Ses conseils sont restés gravés dans ma mémoire lorsque j’avais développé ma première société. Le tout n’est pas de faire autant pour moins cher, mais de faire moins pour le prix proposé. Peut-être est-ce le moment négocier plus de congés, que vous pourrez mettre à profit pour faire de l’enseignement ou de la recherche perso. Bref, la négociation s’effectue aussi sur d’autres aspects que la seule rémunération, et également sur des avantages en nature.

La fin de l’histoire

Quelques semaines après notre entretien téléphonique, mon ami chercheur me renvoie un texto pour m’avertir qu’il avait obtenu la rémunération qu’il souhaitait en limite haute, soit plusieurs milliers d’euros de plus que ce qu’il pensait demander initialement.

Étant absolument ravie pour lui, je lui demande alors si l’agence avait cherché à négocier, et il me répond « même pas ».

Ma réponse « Lol, tu aurais pu demander plus alors ».


Vous êtes chercheur, vous souhaitez développer votre activité d’indépendant et vous avez plein de questions ? N’hésitez pas à participer aux apéro-coaching.